«… retour… hier 7 octobre
Vendredi 8 octobre
En me levant ce matin, j’entends un moustique qui volette, malgré les fenêtres fermées, mais il me semble de ne pas avoir été piqué. Peut-être un mâle, et les mâles ne piquent pas, comme chacun sait. En attendant de descendre prendre mon petit déjeuner, je continue à écrire mes notes sur la journée d’hier. Sans ces notes, il me serait difficile de me remémorer toutes les anecdotes et pouvoir ensuite rédiger un texte, comme j’ai l’intention de le faire. Tout d’un coup, je me rappelle l’existence d’une terrasse au dernier étage, alors j’y monte pour prendre un photo panoramique de Venise, comme il y a 7 ans avec Suzel qui se prélassait dans un coin, sur une chaise longue. Au dernier étage, sur la porte d’accès il y a un panneau : Attention aux goélands. Mais aujourd’hui il n’y pas de goéland qui niche dans un bac à fleurs, et qui nous menaçait avec Suzel, comme tous ceux qui montaient sur la terrasse. Au petit déjeuner, je m’aperçois que j’ai oublié mes lunettes sur ma table d’écriture dans ma chambre. Cela ne fait rien, je connais le menu maintenant et de toutes façons je reprends la même chose qu’hier et forçant sur les doses, car je ne sais pas à quelle heure je serai dans le train du retour et donc si je vais manger lorsqu’il sera midi.
A’ la réception, je décide évidemment de laisser tomber mes récriminations et me voilà dehors où le temps a viré au maussade et il bruine sur mon manteau. A’ chaque fois qu’il me revient un détail de la journée d’hier, je m’arrête, je sors de ma poche mon petit papier plié, mon stylo, et j’en prends note, appuyé sur un mur. Les passants doivent me prendre pour un architecte des bâtiments historiques faisant son tour d’inspection… Je me retrouve ainsi sur le quai à peine photographié par ma panoramique, où depuis mon précédent séjour, à la place d’un terrain en friche, un jardin a été aménagé, dans lequel on n’a pas pu s’empêcher d’y installer des installations (sic) d’art moderne toutes plus farfelues les unes que les autres. J’ai toujours été sidéré de voir l’insistance avec laquelle on veut à tout prix, exposer et imposer le vil art moderne dans les villes d’art ancien. Mais j’ai bien fait d’entrer dans ce jardin, parce que l’une de ces installations est une sculpture en forme d’amas de conques de mer, que la pluie a toutes rempli d’eau, à ras bord. Voilà donc je suppose, la nurserie, comme dans le film Alien, de toutes ces créatures qui sont venues hanter mes dernières nuits. Et dire qu’il aurait simplement suffit, comme le remarquera aussi ma tante Marta à qui je raconterai l’histoire, d’un petit trou pratiqué sous chaque conque pour régler le problème… Je suis certain qu’un artiste, moins moderne, du moyen âge par exemple, lui, il y aurait pensé…
J’ai prévu de retourner encore une fois dans le quartier de la Celestia pour faire une photo panoramique de la façade de l’école de mécaniciens de la marine. Cette fois, j’y vais à coup sûr, bien sûr. J’attends que l’endroit soit vide, en poursuivant un peu plus loin, en flânant vers le quai qui donne sur l’île de San Michele. Lorsque je reviens, je m’exécute et je ne remarque pas tout de suite que le groupe bruyant qui traverse la placette, se dirige justement vers la porte de l’ex-école, qui est donc maintenant un service des archives de Venise. Le temps que je finisse ma panoramique et que je réalise que je pourrais en profiter pour me glisser avec ce groupe, juste pour faire quelques prises de vues du cloître à l’intérieur et ils ont déjà refermé la porte derrière eux. Dommage, ce sera pour quand je reviendrais à Venise. Je me justifie en me disant qu’il faut toujours se laisser quelque à faire, à compléter et qui pour cela, pousse à revenir…
A’ petits pas et au son des roulettes de ma valisette sur le pavé inégal, je me dirige vers la gare ferroviaire. Je passe devant l’hôtel Paganelli, que Christian et Isabelle ont dû quitter ce matin aux aurores, et dont le parvis est étrangement dégagé à cette heure, peut-être à cause d’un avis de acqua alta… non ? Si ! Et cela se confirme un peu plus loin, place Saint Marc où les cheminements amovibles en surélévation sont déjà en place et où l’on peut voir l’eau sourdre, par endroit, des interstices entre les dalles de pierre. C’est donc cela le mécanisme de l’arrivée de la marée haute ? Pas nécessairement par débordement de l’eau sur les quais, comme je le vois aussi du coin de l’œil, mais surtout par remontée du sous-sol et des réseaux d’évacuation d’eau de pluie, qui, pour le coup, font arriver l’eau en sens inverse. Des flaques de plus en plus grandes se constituent au milieu de nulle part et s’étendent, mais avec la lenteur due à l’immensité de la place et des mètres carrés qu’il faut conquérir. Cela laisse ainsi le temps de s’enfuir avec nonchalance. Le spectacle de ces « sources » d’eau, de loin en loin sur le pavé, attire les appareils photos des touristes et d’ailleurs je me dis qu’un petit film serait chose à tenter, parce que plus parlant qu’une photo… Ce phénomène je le rencontrerai tout au long de mon chemin de retour vers la gare, même dans des ruelles étroites qui semblent être loin des canaux. Endroits qui doivent donc être plus bas de niveau de ce qui les entoure, et qui donc, à l’évidence, sont envahis en premier. J’ai même vu, dans l’entrebâillement d’une porte, une salle de pizzeria avec les pieds de tables dans l’eau, alors que la ruelle devant était au sec. Mais vous le savez vous aussi maintenant, que plus je m’approche de la gare, plus je vais me trouver sur un point haut de la ville.
Voyant que j’ai le temps avant que la marée ne me rattrape, je m’arrête sur une placette où il y a là des bancs, sous un arbre. Assis là, je me plais à jouer au résident de la ville, qui regarde passer… les touristes. Comme souvent, j’aime bien faire participer d’autres personnes, en les connectant depuis les lieux originaux où je me trouve. J’appelle mon cousin Luca, mais comme il me le fera savoir quelques heures plus tard par sms, il était allé à son premier contrôle, depuis sa sortie de l’hôpital, où à peine entré, le mois dernier, son état s’était mis à s’aggraver, de manière inexplicable, de l’avis même de ses médecins. Aujourd’hui il est rentré chez lui, en convalescence. Tout va bien, et le cauchemar, pour lui et sa famille, est terminé. J’appelle Gilles qui me raconte qu’il est déjà venu 3 fois à Venise. Je lui demande des anecdotes de ses séjours, mais il me parle plutôt des derniers résultats sportifs, que moi-même d’ailleurs je peux suivre en direct sur mon téléphone maintenant, grâce à l’abonnement qu’il m’a gentiment offert. Je continue à regarder autour de moi, et après avoir tenté « d’épuiser » le lieu, à la Perec, je me remets en marche.
Arrivé à la Gare, je consulte le grand tableau des départs, et je choisi un train pour dans deux heures, puis j’achète mon billet aux machines. J’ai donc le temps de manger un peu. Je vais m’asseoir sur un des rares bancs en ciment sur la place de la gare et je déballe les « tramezzini », le mot choisi par D’annunzio, que Mussolini a imposé, pour ne pas utiliser le mot anglais de « sandwich », que j’ai achetés un peu plus tôt, pensant devoir les manger dans le train. Sans être fasciste, je pense qu’éviter les anglicismes, en inventant des termes, pour les traduire dans la langue vernaculaire, comme le font aisément les québécois du reste, est une très bonne chose. Comme il y a beaucoup de pain, par rapport à la garniture, j’en fais des grosses miettes pour les oiseaux qui me regardent par dessus mon épaule. Je remarque, comme toujours, cette hiérarchie due à la taille, qui s’installe entre les volatiles. Les moineaux sont chassés par les pigeons… les pigeons par les mouettes… les mouettes par les goélands. Seuls manquent à l’appel aujourd’hui, au milieu de l’échelle, les corbeaux, par rapport au Jardin du Luxembourg à Paris. Mais ici les goélands sont les plus nombreux, et ils font place nette, même lorsque j’essaye en vain de distribuer équitablement mes miettes…
Pour la saveur en bouche, j’ai envie d’un café que je vais me boire, avec un muffin, debout au bar de la gare. Puis je vais quand même m’asseoir, les mains dans les poches, sur des tables dont j’avais momentanément oublié la présence, en terrasse. Je voulais juste un peu de confort pour envoyer un sms à Christian, qui me répond qu’ils sont effectivement bien rentrés à Nantes tous les deux, sans encombres et qu’ils sont très contents de leur séjour. J’envoie ensuite un mail, pour changer, à Raymond avec copie à Gilles : « Je viens de passer 3 jours à Venise. Je suis sur le départ pour rentrer chez moi à la Carnia. On a échappé à l’acqua alta et on s’est rempli les yeux des couleurs d’émeraudes et de briques, surligné d’ivoires. A’ bientôt avec le texte de cette escapade… » Les réponses arriveront quelques heures plus tard. Raymond attend le texte. Gilles, se demande si l’envolée lyrique n’est pas due à des volutes d’herbe .
Après un moment, je me dis que je ne vais pas rester assis là à attendre, car j’ai encore du temps. Alors je me lève et je passe le « Pont des Scalzi » pour me retrouver à divaguer sur le quai d’en face, mais comme je ne veux pas, tout de même, trop m’éloigner, je remonte en haut du pont, et je m’accoude étroitement à la pierre blanche du parapet. Quelle façon agréable de perdre son temps. Le soleil voilé dans le vent, un manteau bien chaud et je m’attarde comme jamais je ne me suis attardé sur ce pont à scruter longuement le ballet des embarcations sous mes pieds. Les bateaux de marchandises, qui chargent et déchargent, des gravats comme des appareils domestiques, les gondoles qui font des créneaux pour embarquer des amoureux à la pelle et les bateaux de passagers, autrefois à vapeur, et dont le nom de « vaporetto » est resté. J’apprendrais plus tard, au moment de rédiger ce texte, que le premier vaporetto, au début du XX ème siècle, a été acheté à une société française, qui l’exploitait sur la Seine à Paris et qu’un temps, ils étaient construits à Nantes, avant de rejoindre Venise par la mer. Et ben… il faudra que je raconte tout ça à Christian….
Je vais prendre mon train, après un dernier coup d’oeil au tableau des départs pour me confirmer le quai. Il n’y a pas de contrôleurs et je finis par m’assoupir au son des roues sur les rails. Depuis le fond du wagon j’entends, fort et clair, un entrepreneur qui comme souvent, confond les transports en commun avec son bureau. Il passe un coup de fil, pour ce qui semble être une relance, mais sans doute surpris par l’attitude de son client, qui à l’autre bout doit faire la sourde oreille, il rentre dans une boucle de phrase, au sujet de sa facture impayée, qu’il répète, exaspéré, à n’en plus finir. Mais d’exaspéré, il en devient exaspérant et le disque rayé est trop pénible. Dans ma semi-torpeur je bougonne quelque chose, qui me vient en français, et assez fort pour que le saphir saute le sillon et passe en fin d’écoute… Les autres passagers m’en sont-ils gré ?
Udine, le bar est ouvert, mais il a été transformé avec le système d. Les tables rondes ont été carrément soulevées et posées sur les bancs et les chaises ont été enlevées pour qu’il n’y ait que des places debout, en application de la norme en vigueur, qui stipule qu’à l’intérieur, on ne peut plus s’asseoir sans pass sanitaire. Le pass sanitaire a donc scindé la population en 2 espèces. D’un côté les chevaux, toujours debout, et de l’autre les vaches, assises mais vaccinées… Le mot vaccin ne vient-il pas du latin « vacca », vache en latin? Et ici vraisemblablement, pour se faciliter la tâche, on a fait un choix. Il n’y aura que des chevaux. A part cela, le service est toujours le même. C’est le seul bar que je connaisse, qui a toujours une excellente brioche à la crème à proposer, introuvable ailleurs et le seul bar que je connaisse, qui refuse systématiquement, comme il est pourtant d’usage partout ailleurs, de me donner un petit pot de lait à part, pour mon « macchiato freddo ». Le train qui me ramène à La Carnia est un Mi.Co.Tra. autrichien. Son terminus est à Villach, au delà de la frontière. Les annonces sont en trois langues parfaitement prononcées : Italien, Allemand et Anglais. Aujourd’hui le chef de train à l’air d’humeur badine. Au lieu d’annoncer ma commune, simplement comme tous les autres arrêts, il ajoute curieusement : « La merveilleuse Venzone » … en 3 langues toujours. Mais dans ce train, sérieux germanique oblige, les billets sont contrôlés. Je descends à la station suivante.
Carnia. La rue de la gare est fermée pour travaux, mais heureusement il y a d’autres chemins pour rentrer chez moi. Il fait encore jour et je retrouve mon appartement étrangement tranquille. A’ peine arrivé, et ma valise rangée, je m’attelle tout de suite à la recherche sur Internet, d’une explication logique à la question de Christian. Vous vous souvenez ? Pourquoi est-ce que moins par moins cela fait-il plus ? Rapidement je commence par trouver toutes les explications farfelues, qui bottent en touche, et qui avaient dégoûté Christian, du style « c’est comme ça » ou «c’est une règle générale » alors qu’en science, comme chacun sait, ou devrait le savoir, l’argument d’autorité est absurde.
En fait le moins devant un nombre, doit être vu comme marquant l’ « opposé » de ce nombre. En prenant un nombre au hasard, 2, nous avons –2 qui est l’opposé de 2 sur la ligne des nombres relatifs, de part et d’autre de 0 donc. Mais, l’opposé de –2, que l’on peut écrire -(-2) nous ramène, de l’autre coté de 0 à… 2, que l’on peut écrire +2. Le moins devant, par multiplication implicite, peut s’écrire (-1) que multiple donc ici (-2). Nous avons donc : (-1) x (-2) = +2 . On en déduit donc que – par – donne +, car l’on peut remplacer 2 par n’importe quel autre nombre.
On retrouve d’ailleurs ce concept en littérature avec le procédé rhétorique de la double négation qui devient donc une affirmation. Par exemple : «vous n’êtes pas sans savoir » qui signifie « vous savez ». Donc, en partant des mathématiques et en passant par la littérature, nous en arrivons à donner une réponse philosophique à la direction hasardeuse prise aujourd’hui par notre société sous emprise… Dans la vie, il est toujours temps de faire le contraire… du contraire, et donc de se remettre sur le droit chemin…