Mon Dentiste

Aujourd’hui mardi 9 février 2010, j’ai pris rendez-vous avec mon dentiste. Mon dentiste, en fait, était une femme. Je dis « était » parce que je viens d’apprendre la semaine dernière qu’elle est en arrêt maladie et que, au cabinet, elle ne reviendra plus. Je suis aussi étonné d’apprendre qu’il y a, dans ce même centre médical, une autre dentiste, dont, durant toutes ces années j’ai ignoré l’existence et c’est donc avec elle que j’ai pris rendez-vous aujourd’hui. A l’accueil, la secrétaire, me détrompe tout suite. J’avais mal compris la particule. Cette fois-ci, c’est un homme. Elle me désigne, tout de même, la même salle d’attente.

Assis là, des images me reviennent. Du figuier, que l’on voit là, dehors, je me souviens que chaque année au début de l’automne, alors qu’il est chargé de figues, je m’enquérais, auprès de ma dentiste, en guise de conversation, de savoir si quelqu’un les cueillait. Toujours, évidemment, elle me rassurait et toujours, ponctuellement, les mois suivants, je voyais les fruits pourris tombés à terre. J’ai été sensibilisé aux figuiers à cause de celui qui poussait devant la fenêtre de l’appartement que je squattais à Périgueux et dont une branche était assez proche pour se laisser attraper ses bons fruits mûrs. Toujours dans mes pensées pour ma dentiste, je me souviens qu’un jour je lui ai fait part d’une statistique que j’avais lu dans un journal. Peut-être même un journal de la salle d’attente. Il était dit que les vapeurs des alliages utilisés dans les amalgames dentaires étaient peut-être la cause d’une forte réduction de l’espérance de vie des dentistes et aussi d’un taux de suicides anormalement élevé dans leurs rangs, par rapport au reste de la population. Elle accueillait ces allégations avec de la distance. Dans les dernières séances elle avait eu un geste qui m’avait surpris. Après de longues discussions, au cours des séances, sur le coût de la vie et sur mon année sabbatique qui s’éternisait et devant le peu d’entrain que je manifestais, à me faire poser une couronne chère, elle me proposa, tout de go, une couronne céramique au prix du métal. En échange elle m’avait dit que je pourrais l’aider, un jour, si elle avait des problèmes avec son ordinateur. Du troc, cela m’avait bien plus. De plus, j’avoue que j’avais eu la faiblesse de croire que mon charme y était peut-être pour quelque chose, mais la réalité était peut-être à rechercher simplement dans la faiblesse de son chiffre d’affaire du mois.

Tout à coup, la porte de la salle d’attente s’ouvre. Visage rose, le cheveu rare et gris, de petites lunettes rondes sur le nez, mon dentiste est là. Je me lève pour lui serrer la main qu’il me tend.
- « Bonjour, avez-vous votre carte vitale ? »
Je note qu’il a quand même commencé par me dire bonjour. En deux pas, je suis à son cabinet, je pose mon manteau et je lui tend ma carte verte de sécurité sociale. Il s’installe à son bureau et se met à pianoter sur son ordinateur.
Quel chemin parcouru depuis les années 90 où les professions libérales que je fréquentais riaient aux éclats lorsque je leur parlais d’échanger leur fiches cartonnées pour un clavier, alors que moi-même, simple particulier, j’avais déjà, à l’époque, un ordinateur chez moi. Tous me soutenaient, même avec derrière eux, un bagage de dix années d’études universitaires que je vivais sur une autre planète et en me regardant d’un air moqueur, me laissaient entendre qu’un ordinateur ne ferait que les ralentir dans leur travail.
En entrant, j’avais noté du coin de l’œil que son ordinateur était un ultraportable, netbook Samsung N140.
- « Non, c’est NC10, un des premiers » Corrige-t-il, très fier.
Bon, mais après tout, c’est la même coque. Avec ma carte, il retrouve quelques informations me concernant, comme les dates et les actes de sa collègue, mon ex. Comme je sais, depuis peu, que sur une carte vitale il n’y a rien d’autre de mémorisé, que le nom et le numéro de sécurité sociale, je suppose que ces informations, il les a récupérées ailleurs, sur le réseau.
- « Oui, c’est moi qui m’occupais un peu d’elle… de son informatique » précise-t-il.
Suis, le sempiternel rapide échange sur le pourquoi de savoir si les données médicales doivent êtres accessibles sur Internet avec les sécurités idoines, cela va sans dire. Une base de données accessible à tous les praticiens en quelque sorte, même à un urgentiste sur le bord de la route, et où chaque particulier pourrait consulter son propre dossier médical, évidemment. Il a l’air d’accord. Il se lève, et en se lavant les mains me dit :
- « Installez-vous ».
Je m’assois sur le siège de dentiste, qui de nos jours, ressemble plus à un baquet de module spatial qu’à un siège de coiffeur, comme dans le temps.

Assis ou plutôt à demi allongé, le regard aveuglé par la puissante lampe, j’entame les raisons de ma venue. Je suis là pour une inspection régulière et puis pour une sensation de froid près de la couronne en céramique posées ces derniers mois. Je crains une carie.
Il inspecte tout, consciencieusement et ne trouve rien d’anormal que des collets sensibles. Il trouve ailleurs, sur une incisive, un petit défaut, qu’il se met en devoir de soigner. Sa pratique est plus brusque que sa collègue qui, elle, avait tendance à s’allonger sur moi, de tout son poids, sa poitrine contre la mienne. C’était peut-être une technique, qu’elle avait élaboré, pour apaiser chez le patient, les appréhensions de la roulette. Lui, j’ai plutôt l’impression qu’il stocke ses outils dans le creux de ma joue pour pouvoir les avoirs plus rapidement sous la main. Je me fait l’effet d’être un gobelet à crayons.

Pendant que la résine blanche est en train de sécher, mon dentiste ajoute qu’il y aurait quand même beaucoup de travail car il a des dents reconstituées et que sans couronnes il y a un risque de cassure. Je lui confirme que j’en ai conscience, mais que les couronnes sont malheureusement trop chères. Je suis a deux doigts de la parler de ma situation, sans travail, mais je ne le fais pas. Je lui parle plutôt de ma dent du fond, manquante. Comme l’avait déjà fait ma dentiste, il me propose un bridge.
- « Si bien entendu cela est techniquement possible » ajout-t-il, mais je précise que :
- « J’ai des devis d’autres dentistes »
- « Avoir des devis ne suffit pas, il faut faire des radios »
Je suis étonné du peu de cas qu’il fait de ses collègues, et j’ajoute.
- « Je suppose que s’ils m’ont fait des devis, c’est qu’ils m’ont fait des radios avant »
A-t-il accès aux radios que m’a fait sa collègue ? Non, les radios sont personnelles et sont rendues aux patients. Soit ! Mais les radios sont souvent numérisées maintenant et il serait facile à un centre de radio de transmettre un cliché comme un fichier via internet. Sans compter que de plus en plus de cabinet digitalisent eux mêmes leurs clichés, visible directement sur un écran d’ordinateur. En disant cela je pense, entre autre, à ce charmant couple de deux femmes dentistes à Périgueux. Non, non, les clichés sont sur des films et il m’ouvre un tiroir qui est plein de panoramiques dentaires, ce qui montre bien qu’il ne les a pas toutes rendues aux patients.
Je m’assoies sur un simple petit tabouret blanc près de son bureau que je pense être destiné à cela et je prépare ma carte bleue à la main.
- « Je ne prends pas la carte bleue »
Ce que j’avais vu sur la table était donc juste un lecteur de carte vitale. Je lève le sourcil en cherchant des solutions, mais sans attendre, il embraye aussitôt avec un poncif.
- « Lorsque vous achetez du pain chez le boulanger, vous ne payez pas avec une carte bleue »
Je lui fais répéter parce que, sur le coup, j’ai peur de ne pas avoir bien compris. Il répète et il continue :
- « Tous mes collègues médecins ici dans le centre médical n’accepte que du liquide ou des chèques ».
Des chèques ? Mais c’est pas trop dans l’air du temps écologique, tout ça. Je rétorque simplement :
- « Je ne fais pas de chèques, j’achète du pain avec de la monnaie, mais je paye en carte bleue toutes les sommes importantes ». Et je n’ai pas le temps de lui rappeler l’existence du porte monnaie électronique.
- « Vous faites comme vous voulez »
D’un air de me dire qu’il n’a certainement pas l’intention de changer quoi que ce soit dans sa façon d’être. J’ai comme une impression de déjà vu. Mais je poursuis dans la recherche d’une solution car j’ai peur de ne pas avoir assez de liquide sur moi. Je lui dis que je ne vois donc pas d’autre solution que d’aller jusqu’au distributeur de billet et de revenir. Je m’aperçois qu’il ne m’a même pas dit combien je lui dois.
- « 29 euros ».
- « Bon, pour ne pas vous déranger, donnez-moi 1 euro, et je reviens tout de suite apporter un chiffre rond à votre secrétaire »
- « Ha, non, non… voyez avec ma secrétaire, elle a l’habitude » et il ajoute, « et il faudra que vous lui laissiez votre carte vitale pour je puisse établir votre remboursement »
Je réalise alors que je dois donc revenir une troisième fois, pour récupérer ma carte. Mais cela ne l’atteint pas le moins du monde et il enfonce le clou.
- « C’est pourtant clair » Me dit-il, sans rire. « Ou bien voulez-vous que je vous fasse une feuille de soin classique »
Je ne relève pas. Je ne suis pourtant pas devant un guichet de sécurité sociale face à une personne qui aurait des motivations, souvent salariales, de ne pas comprendre au quart de tour, l’aberration de ce qu’il me propose. Les professions libérales sont habituées aux mauvais payeurs, mais n’a-t-il pas vu, dans mon dossier, que je fréquente depuis longtemps son collègue médecin, dans ce même centre et que dans un cas pareil il m’avait déjà fait confiance et ne sait-il pas que sa collègue dentiste, elle, avait bien un lecteur de carte bleue ?

Je sors sous les flacons de neige. Oui, il aura finalement beaucoup neigé cette année. Et ce n’est que devant le distributeur de billet que je m’aperçois que, tout à mon attention apportée à cet univers de Courteline, je n’avais pas réellement prêté attention au montant de la consultation, qui m’avait été réclamé et qui était beaucoup moins élevé que je ne l’imaginais. Car, dans mon portefeuille… les 30 euros… je les vois et je les ai… pile. Mais, si je m’en étais aperçu plus tôt, il n’y aurait pas eu d’histoire. Car enfin, m’a-t-on pris pour un mauvais payeur ou un magouilleur ? Quelle est la pierre d’achoppement ? Si j’ai été jugé, c’est sans procès équitable, sur une présomption qui m’échappe et pour peu, mis aux arrêts. Aux arrêts ? Mais, j’y pense. Ma dentiste… est-ce vraiment de maladie qu’elle est… en arrêt ?

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