Handkerchief Rescue


Je mets la main dans ma poche et je m’aperçois que je n’ai plus mon mouchoir. C’est bête, j’ai du le perdre en chemin. Je suis assis dans un bar, à Moggio, en ce 12 octobre 2018, où je suis venu faire mon tour, un classique du moment, à vélo depuis La Carnia. Le mouchoir, c’est important pour moi. Surtout l’été, lors des résurgences de mon rhume des foins, mais un peu aussi toute l’année. J’ai toujours eu un mouchoir sur moi. Ma mère m’a même dit un jour, que j’avais appris à me moucher tout seul avant d’apprendre à marcher. Une réminiscence de ce temps là, est le fait que j’utilise mes deux mains, parce que à l’époque elles étaient trop petites. Je ne sais pas faire, comme je le vois souvent faire, avec une seule main. Pour la petite histoire, c’est lorsque que mes parents ont émigré, lorsque j’avais huit mois, que l’eczéma que j’avais attrapé à la naissance s’est transformé en rhume des foins, une fois arrivé en France.

Un mouchoir ce n’est pas une grande perte. Surtout que j’en ai un autre, que je récupère prestement, dans la pochette de mon vélo. Mais j’en ai trop perdu. Et puis celui-là, je me souvient de l’avoir regardé en le prenant tout à l’heure avant de partir. Il est bleu avec des carrés bleus. Ce n’est pas un « carré blanc sur fond blanc » à un million de dollars, moins un million de dollars. Non, c’est juste mon mouchoir et j’y tiens.

Je pense : Il y a peu de chance que quelqu’un qui le trouve, le ramasse. On ne ramasse pas un mouchoir. Donc j’ai toutes les chances de le retrouver en refaisant le chemin inverse. Pour cela je ne vais pas continuer et faire la boucle par Cjampiuul et par Saqš, comme je l’avais prévu, mais revenir scrupuleusement sur mes pas. Cela veut dire remonter à Moggio alto vers l’abbaye et le belvédère puis redescendre vers le pont sur le Fella et reprendre, après l’ancienne station, l’emplacement des anciennes voies de chemin de fer où les travaux pour le complètement de la piste cyclable Tarvisio-Grado, s’éternisent. Mais je ne suis pas pressé, donc.

Je termine mon lemon soda que je me suis autorisé, juste aujourd’hui, vu l’effort que j’ai fourni. D’ailleurs j’ai monté la côte assez facilement tout à l’heure. Elle a l’air assez effrayante à regarder comme ça, avec ses lacets serrés, surtout après la campagne de débroussaillage de cet été qui l’a bien dégagée, mais c’est peut-être le plat de bonnes pâtes que ma cousine Graziella m’a réchauffé à midi qui m’a donné l’énergie nécessaire. Ce matin je l’avais accompagnée en voiture, pour une démarche administrative à Tolmezzo. On s’était ensuite arrêtés à la station de Tolmezzo, désaffectée elle aussi, où je l’avais invitée à prendre un café et un croissant sous les arbres, au calme. Maintenant ici, à Moggio, je termine aussi la lecture du journal local. Ils y parlent justement de la piste cyclable prévue entre Carnia et Tolmezzo. Ce serait une belle aventure s’il était possible ensuite de la connecter, via Illegio, à la vallée du Glanjo’ et redescendre jusqu’à Cjampiuul, par les sentiers aujourd’hui pédestres. Cela deviendrait le tour de l’Amariana. Les concepteurs de pistes cyclables devraient privilégier les boucles, ce qui permettrait de donner un intérêt supplémentaire aux excursions et retenir les touristes localement.

Mais moi, on le sait, je dois renoncer à ma boucle et commencer l’opération « Sauvetage du Mouchoir ». Je remonte sur mon vélo et je balaye du regard le petit pavé rougeâtre devant moi, tout en pédalant au ralenti. Au début, j’y suis un peu obligé vu que c’est une côte, mais après l’abbaye je redescends aussi mètre par mètre, en tenant le frein. Je me dis que le bleu doit être assez facile à repérer, mais je me méfie du vent qui a pu pousser le tissu dans une ornière sur les bas cotés.

Ayant l’esprit focalisé sur un mouchoir, me reviennent en tête d’anciennes histoires. Un jour, il y a quelques années, j’accompagnais mon cousin Giovanni à son Université de Udine, si je me souviens bien. J’avais même été très content d’assister à un cour, intéressant, dans un amphi théâtre, comme auditeur libre, en attendant Giovanni, qui après avoir vaqué à ses occupations était revenu me chercher pour rentrer. Quelle ne fut pas ma surprise de trouver, dans une allée, au milieu du campus, mon mouchoir, là, par terre. Tombé, il était resté là, tout ce temps. Et seul le hasard, ou pas, m’avait fait repasser par le même endroit. Un peu comme la carte à jouer dans Sherlock Holmes. Ceci me donne donc de l’espoir.

Mais maintenant j’ai même un doute. Est-ce que j’ai vraiment mis un mouchoir dans ma poche en partant ? Est-ce que je ne serais pas en train de perdre mon temps ? Car, au bas de la descente, toujours rien. Et pourtant c’était là que je pensais que la chose aurait pu arriver. En effet, le fait de se dandiner sur mon vélo en montant, aurait pu, par reptation, faire sortir le mouchoir de ma poche qui est trop petite sur ce pantalon que j’utilise pour faire du vélo. En parlant d’acte manqué me reviennent en mémoire d’autres mouchoirs. Je suis devant un cinéma à Paris. C’est la fin des années soixante dix, j’ai à peine plus de vingt ans. Je me décide pour aller voir un film qui s’appelle « Préparez vos mouchoirs » avec Gérard Depardieu. Assis dans la salle, le film commence. Et juste pendant les premières images, un point noir apparaît au milieu de l’écran. Ce point s’agrandi très vite comme un cratère blanc aux bords noirs jusqu’à manger toute l’image. Je ne comprends pas tout de suite que je viens d’assister à la destruction de la pellicule du film sous l’effet de la chaleur de la lampe du projecteur. Mais les lumières se rallument bien vite et tout le monde se lève. Nous sommes invités à quitter la salle et à choisir, gratuitement cela va de soit, un autre film. Je dois en faire mon deuil, et préparer mon mouchoir, car je ne verrai pas le film que j’avais voulu. Et je me rends compte que, jusqu’à aujourd’hui, je ne l’ai jamais vu.

Passée la Fella, je suis toujours le nez par terre, roulant au pas, sur les gravas des travaux de la piste cyclable. En fait je ne roule pas tout à fait sur le tracé de l’ancienne voie ferrée, mais sur l’ancienne route abandonnée qui longe la nouvelle, bruyante elle, en contre bas. Sur cet asphalte craquelé, et moucheté de touffes d’herbe, entre ces anciennes et typiques bornes de pierre, noire et blanche, j’ai certainement du passer, petit, au moins une fois, en voiture d’un de mes oncles. Ces souvenirs me font remonter encore plus loin en arrière dans les années soixante à ce qui, incidemment, m’a donné le titre et l’envie d’écrire cet article.

Je revois encore mon grand frère Alberto, avec sa tête de pré adolescent, rentrant du lycée je suppose et nous racontant une de ses aventures, à nous ses frères, à la maison, où il ne se passait jamais rien. Il devait avoir reçu ses premiers cours d’anglais et nous racontait, ce qui deviendra une habitude, des histoires de filles. Il y avait sans doute eu un échange scolaire, et dans sa classe avaient du débarquer des jeunes filles anglaises de leur âge. Alors Alberto nous racontait ce fait. Bien sûr, lui, n’osait jamais. Alors, il en était spectateur. Un de ses copains de classe, plus entreprenant que les autres, avait donc tenté de rentrer en contact. Sortant son mouchoir de sa poche – et là, Alberto nous le mimait en sortant le sien, de ses doigts fins en le secouant entre le pouce et l’index – le gamin avait dit, à l’attention des anglaises, en utilisant l’ensemble de son vocabulaire: « This is a french handkerchief ! » « Ceci est un mouchoir français ! » dans l’hilarité générale, ou la consternation générale, comme on voudra. Pourquoi retient-on certaines scènes et pas d’autres ? J’ai peut-être tiqué sur ce mot étrange, qui ne ressemble même pas à de l’anglais. Et pour cause : il vient du français. Jusqu’à aujourd’hui je n’avais encore pas eu la curiosité d’aller voir comment il s’écrivait. En fait on peut le traduire par « tissus couvre chef que l’on tient à la main ». Donc un foulard… avec lequel, avec le temps, on s’est résolu à se moucher.

L’ancien tracé débouche sur la nouvelle route lorsque la vallée se resserre à la lisère de Venzone, en entrant sur le territoire du hameau de La Carnia, en fait. Il y a là un torrent qui descend de la montagne, le riu barbar et lavarie, et qui délimite la frontière entre les communes de Venzone et Moggio. Je m’arrête parfois ici et je lève le nez pour regarder les anfractuosités. J’essaye de deviner, à la louche, par où pourrait descendre une piste cyclable de là-haut. Parce que là-haut c’est Tuieč. Et ça serait bien si on aurait pu faire la connexion avec la future piste ici en bas, parce que cela créerait encore une boucle : Le tour de Somp Pave. Si l’on ajoute le Tour de San Simeone, qui existe déjà, cela ferait un panel de prestations quasi complet, juste autour de La Carnia.

Mais cette fois-ci, je passe tout droit et tête baissée. Ce bout de route nationale à forte circulation est le plus mauvais moment à passer. C’est justement ce que va éviter la piste cyclable lorsqu’elle sera construite. De chaque coté de la route il y a bien une bande d’un mètre de large environ, délimitée par une ligne continue et réservée aux cyclistes. Mais cela n’empêche pas les automobilistes de l’empiéter allègrement comme bon leur semble. C’est très dangereux. Lorsque j’étais plus jeune, beaucoup plus jeune, je ne me souciais pas des semi-remorques qui me frôlaient. Aujourd’hui je n’accepte plus ce risque. Et je ne prend plus la nationale que à contre cœur. Je la prend même maintenant à contre sens, parce que je veux remettre mes pieds, enfin, mes roues dans celles de l’aller. Je prend donc la bande de gauche pour revenir sur mes pas et ne pas louper mon mouchoir, s’il est là.

Soit dit en passant, c’est quand même beaucoup plus sûr pour un cycliste, comme pour un piéton, d’avancer en voyant arriver les voitures en face. Mais encore faut-il que le conducteur moyen le comprenne. En tout cas pas celui qui vient de me klaxonner, là. Après un petit kilomètre et demi de mésentente, je quitte enfin l’asphalte pour monter sur le bas coté sur l’amorce d’un sentier qui m’amènera à reprendre l’ancienne route, qui passe aujourd’hui devant le cimetière. Et là, que vois-je, trônant dans l’herbe verte… ? Mon mouchoir bleu qui m’attend. Je le ramasse et en l’attachant à mon guidon, j’ai quand même un petit sourire pour avoir complété la petite tâche que je m’étais fixée et je suis à deux minutes de chez moi. Comme le dit la chanson finlandaise, je me sens comme un canard qui a trouvé un nénuphar. Minä olen iloinen. Je suis content.

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