Le jeu de l’ultimatum

Carnia : 4 janvier 2016. Je découvre à la télé entre deux émissions culturelles un programme court qui traite du jeu de l’ultimatum. Je ne connais pas. Je note sur un bout de papier, comme je le fais souvent ces dernières semaines puis, à la fin du programme, je vais faire un tour sur Internet, voir ce qu’ils en disent sur la théorie des jeux.

Voilà ce que je trouve sur « l’ultimatum game » : On prête, à un joueur A, une certaine somme d’argent (par exemple 10€) avec pour instruction d’en donner une partie à un joueur B qui connaît la somme de départ. Si le joueur B accepte l’offre, tous les 2 gardent leur part d’argent. Si le joueur B refuse l’offre, aucun des 2 ne gardera d’argent. On pourrait détailler toutes les offres possibles de 0 à 10€ par le joueur A et toutes les raisons qui pousseraient le joueur B à accepter ou refuser. Car au delà de la solution évidente de 5€ pour chacun, qui a le plus de chance d’être proposée et acceptée, toutes les autres, dans une moindre mesure certes, peuvent être proposées et … acceptées, mais aussi refusées, ce qui contredit d’ailleurs la théorie des jeux qui prédit la recherche de maximalisation des gains… Tout dépend des besoins immédiats en argent de A ou de B.

Mais si je vous parle de cette histoire ce soir, c’est que cela me rappelle une anecdote :

Nous sommes à vélo, à Antony, dans la Rue Aldophe Pajeaud, pratiquement devant l’école Paul Bert, vers l’Avenue Stalingrad, qui sera, par la suite, arbitrairement débaptisée en Avenue Jean Monnet. J’ai 9 ou 10 ans, peut-être moins, et devant moi il y a mon frère Gianfranco, 1 an et demi de moins que moi. Dans mon souvenir c’est un tout petit vélo, et donc le mien ne doit pas être beaucoup plus grand et donc on ne doit pas être très âgés. On est en plein milieu de la route, ce doit être l’été et il n’y a pratiquement pas de voitures. Tout d’un coup, dans les zigzags que mon frère fait là devant moi, tête en l’air, je vois quelque chose traîner sur l’asphalte chaud. Je m’arrête et je ramasse. C’est un portefeuille. Mon frère me rejoint et on regarde autour de nous. Personne. La typique journée de mois d’août des années où nos parents avaient décidé qu’on ne partirait pas en vacances. Vu là où il était, je comprend que le portefeuille n’a pu tomber que d’une voiture et que cela va être difficile de lui courir après. Ce portefeuille, je le vois encore, il est usé, et bien rondouillard. Pas une seule seconde, l’idée de prendre l’argent, n’a traversé mon esprit. Par contre tout de suite a germé l’idée, que le ramener à son propriétaire pouvait rapporter une récompense, et puis qu’au pire, on aurait fait une bonne action. A cet âge, un an de plus fait beaucoup de différence et c’est donc moi qui prend l’initiative. On va le fouiller ce portefeuille et chercher un papier d’identité avec une adresse postale… et on en trouve une, justement rue Aldophe Pajeaud. Demi tour et la rue est longue. Quand on arrive à l’adresse dite, on est quand même pas loin de la limite informelle de l’éloignement maximum, qu’on s’est tacitement et depuis toujours, autorisés depuis la maison au 2 Allée des Platanes. De plus, cela peut être risqué de sonner chez des inconnus, mais je ne me souviens d’aucune appréhension. Peut-être aussi, parce que nous avons lu que ce monsieur, car il s’agit bien d’un monsieur, est un policier. C’est une résidence et il faut trouver la porte et sur la boite aux lettres, l’étage, mais tout se passe facilement. Je sonne.

En plein milieu de l’après-midi, comme ça, il y est fort probable qu’il n’y ait personne, mais une dame fini par nous ouvrir la porte. Pas besoin de beaucoup de mots pour s’expliquer et voilà qu’elle nous abreuve de compliments et nous demande d’entrer. Peut-être qu’on a l’air un peu perlés de transpiration car elle nous propose à boire. Je ne me souviens pas si l’on accepte, car on nous a toujours appris à refuser, plus par sécurité que par politesse. Mais peut-être que oui, après tout. Elle parle beaucoup. Elle dit que son mari a l’habitude de poser son portefeuille sur le toit de la voiture lorsqu’il fait le plein d’essence. Bien, tout se passe comme j’avais prévu. De plus, au retour, on passera devant cette station service et on mesurera, à vu d’œil, sur quelle distance le portefeuille est resté en équilibre sur le toit de la voiture. Je suppose qu’elle ajoute que notre intervention va bien les soulager des tracas et des frais pour refaire tous les papiers. Et tout d’un coup, comme si elle avait oublié quelque chose, elle s’exclame en levant les bras au ciel, et s’éclipse. On se retrouve là debout, au garde à vous en culottes courtes à attendre pendant, ce qui nous semble être, de longues minutes. Elle revient enfin et nous tend à chacun un billet de 5 Francs. Une belle somme à l’époque, surtout pour des gamins. Bien sûr on commence par refuser, mais on sait bien, au fond de nous que c’est pour la forme et qu’on l’a bien mérité. Et nous revoilà dehors, plus riches qu’en entrant.

Et c’est là qu’intervient « l’utimatum game ». J’avais récupéré les 2 billets. Mon frère m’avait confié le sien de bonne grâce, peut-être parce que son short n’avait pas de poche. Par contre je me souviens très bien de mon état d’esprit à cet instant. On est sur le chemin du retour, pour mettre en lieu sûr, l’argent, chez nos parents. Cette fois-ci, c’est moi qui zigzague devant, en me retournant de temps en temps pour relater à mon frère où j’en suis de mon raisonnement.

Pour moi il n’avait rien fait. Il n’avait pas trouvé le portefeuille et ensuite il n’avait fait que me suivre. D’un autre coté, je ne peux pas ne rien lui donner non plus. Mais à combien peut se monter sa juste rétribution ? Lui, semble d’accord qu’il n’a pas droit à la moitié, soit ses 5 Francs. Mais cela va être compliqué d’expliquer à ma mère, que la dame nous a donné 2 billets de 5 Francs mais qu’il n’y a que 2 ou 3 Francs pour mon frère et le reste pour moi. Voilà, je suis le joueur A, je garde pour moi 7 Francs (et pourquoi 7 et pas 8 ?) et je donne au joueur B les 3 Francs qui reste. Est ce qu’il accepte ? Oui ! Il accepte ! Sur son vélo mon frère a accepté. Oui… mais c’était sans compter ma mère, qui, une fois que nous sommes arrivés chez elle, n’écoute pas mon argumentation. Dans son aveuglement égalitariste, qu’elle a toujours pratiqué, elle juge, en revenant à l’expression de la volonté de la dame, qu’il faut partager 5 Francs chacun. Mais égalité ne veut pas dire équité ! Moi, je le vis comme une injustice, mais bien sûr, je vais accepter l’état de fait.

Enfin, l’avantage par rapport à « l’ultimatum game », c’est que l’argent ne nous sera pas repris… enfin, si, un peu quand même… parce que nous n’aurons, comme d’habitude, pas le droit de le dépenser. Il ira augmenter la petite cagnotte d’argent de poche… argent bloqué jusqu’aux vacances d’été, et qui nous servira pour nous acheter des glaces quand nous partirons en Italie… l’année prochaine donc… et ce n’est même pas sûr. De plus au prix du cornet de glace à l’époque en Italie, il va sans dire que l’argent revenait presque entièrement dans la cagnotte au retour en France et qu’au fond… on n’en disposait pas vraiment… et pour le coup, le « jeu de l’ultimatum » est corroboré…

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